lundi 7 décembre 2020

 

Complainte de l'exilé



Demain ne viendra plus
Ma maison me l’a dit
Quand j’y ai mis le feu
En cent craquements
L’a répété :
« Demain ne viendra plus »
J’ai laissé ma maison
Ou ce qu’il en restait
Suis allé au jardin
Et à l’abricotier
En pleurs ai demandé :
« Demain reviendra-t-il ? »
L’arbre m’a répondu :
« Prends ta pelle
Déterre-moi !
N’attends pas qu’ils soient là
Prends ta pelle
Déterre-moi ! »
J’ai pris ma pelle
L’ai déterré
L’abricotier de mes aïeux
Dans le ciel incendié
J’ai pris ma pelle
Et il m’a dit :
« Porte-moi sur ton dos
Où tu pourras, replante-moi
Alors tu l’entendras
Là-bas, ailleurs, ici :
Sur un air de doudouk*
Demain refleurira »
(Etienne Orsini, librement traduit de la tragédie silencieuse du Haut Karabagh, le 15 novembre 2020)
* le doudouk ou hautbois arménien est fabriqué en bois d’abricotier.

mardi 19 mai 2020






Dans son cahier de nuages
Un cancre studieux
Apprend à rêver



(©Etienne Orsini, 17 mai 2020)


dimanche 17 mai 2020






Le jour
Entre les mailles de mes filets
Je le prends
Comme il passe


(©Etienne Orsini, le 17 mai 2020)






Dans son cahier de nuages
Un cancre studieux
Apprend à rêver


(©Etienne Orsini, 17 mai 2020)

dimanche 10 mai 2020

Thésée hésite












Les fleurs se rassemblent
Le poème se met à japper
On me surnomme :
Berger des roses
Si bien que j’ai perdu mon nom
Quelque part
Dans les ronces



©Etienne Orsini
Le 9 mai 2020

vendredi 24 avril 2020

Pourquoi j’ai demandé l’asile sanitaire à l’Espagne







Voilà un petit moment que ça me trottait dans la tête… Enfin, pas « trottait » justement !
Je viens d’adresser une demande circonstanciée d’asile sanitaire à Madrid. Celle-ci est dans les tuyaux et Son Excellence José Manuel Albares Bueno, ambassadeur d’Espagne à Paris, devrait la recevoir entre deux churros. Si elle fait churros, ma requête au moins ne fera pas chou blanc.
Exposé des motifs :
Assigné à résidence comme tous mes compatriotes depuis un mois, je m’efforce tant bien que mal de faire preuve de civisme, limitant mes déplacements à une sortie épisodique, ô combien nécessaire pour me permettre de tenir le siège face à ce satané virus.
Durant cette demi-heure quotidienne, je m’emplis tranquillement les yeux, les narines, les oreilles, du peu que la Nature peut m’offrir en pleine agglomération : un petit coin de ciel bleu, une étoile de bourrache, une grive prenant son envol…
Hélas, je n’ai pas pointé le nez à dix mètres de chez moi qu’aussitôt j’assiste à un furieux ballet de midinettes encasquées et de cadres turbo-dynamiques se livrant à leur activité favorite : le jogging !
Je prends grand soin de les éviter, avançant au milieu de la chaussée au péril de ma vie pour pouvoir détaler tantôt à droite, tantôt à gauche, à l’approche d’un de ces agités.
Pauvre de moi ! Malgré toutes ces précautions, il se trouve toujours un coureur pour me surprendre et me frôler, manquant de peu de me raser ma belle barbe de vingt jours.
L’individu a les naseaux fumants – si, si, Excellence, encore bien davantage que les plus magnifiques de vos taureaux !- ; il s’arrange toujours, lorsqu’il parvient à ma hauteur, pour expirer, quand ce n’est pas pour tousser.
L’autre jour, sur la passerelle, j’ai presque dû ramper pour éviter deux de ces quidams qui se faisaient face, adossés à la rambarde de chaque côté. L’un d’eux se lamentait au sujet de l’amende de 300 € qu’il s’était pris la veille. Un récidiviste visiblement…
Je sais qu’il n’est pas de bon ton dans ce pays de faire l’éloge de la lenteur, pis, de vilipender les adulateurs de la vitesse. Et si j’ose dire que chez nous la liberté des uns commence où finit celle des autres, je vais passer pour un affreux facho, ou tout au mieux, pour un réac patenté avec un peu de chance. Pourtant, j’ai l’intime conviction que c’est bien la précipitation, dont cette pratique du jogging se voudrait l’avatar sympathique, qui est à l’origine de tous nos maux.
J’ACCUSE l’empressement des hommes, des femmes et des affaires (courantes évidemment) de nous fourvoyer au quotidien et d’avoir pavé la voie par manque d’attention, de réflexion à ce damné covid-19 !
JE DÉNONCE la speudocratie mondia(b)lisée qui dévore nos paysages et notre imaginaire, massacrant à des fins vénales et cupides l’ennui que nous nous contentions jadis de tuer à petit feu.
J’INCRIMINE…
J’en étais à ce degré suprême de colère et de désespoir, lorsque la nouvelle me parvint comme un petit soleil au milieu des ténèbres.
Il y aurait un beau pays -le vôtre, Excellence !- où le jogging ne serait pas considéré comme un motif légitime de sortie en ces temps d’épidémie. Un pays qui ne placerait pas le saccage du temps au-dessus du reste ! C’est en période de crise que l’on reconnaît les grands peuples. À leur art de vivre ou à leur façon de nous bâcler l’existence.
Vitesse de ce côté-ci des Pyrénées, lenteur au-delà…
Aujourd’hui, je suis un Madrilène, un Sévillan, un Galicien !
J’espère, Monsieur l’Ambassadeur, que ces quelques lignes vous auront convaincu du bien-fondé de ma requête.
Vous remerciant de votre attention, je vous prie d’agréer, Excellence, l’expression de ma très lente considération.
Votre bien dévoué, 

Etienne Orsini




 Vient de paraître !